L'homme marchait seul, cherchant l'homme qu'il était avant le commencement du monde.

Charlotte O'Streack



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SANS RETOUR

 

Je suis là entre deux moments, entre deux êtres, entre deux pays;

Bien sûr c'est un concours de circons­tances, il a fallu tous ces moments, toutes ces joies, tous ces es­poirs, ces larmes pour en arri­ver là, à l'imprévu comme toujours.

Quand le processus s'est-il mis en marche, pour au­jourd'hui prendre toute la place?

Quand s'est-il accéléré discrètement, envahissant en silence, pre­nant la place des rêves ?

Ce n'est pas dou­loureux, c'est comme une porte qui se ferme sans même claquer. C'est un monde dans lequel on n'a plus sa place.

 

                                                          ****** 

Je l'ai attendu cette date du 18 décembre pour tou­tes sortes de raisons, jamais les bon­nes comme d'ha­bitude;

Quatre ans que je n'étais pas rentrée en France, mon pays d'origine; quatre ans que je n'avais pas vu les miens (comme l'on dit !); quatre ans à me déchirer sur les dents d'un couple qui ne peut se séparer en sentant qu'il est au bord de quelque chose qui ne cesse de se dérober chaque fois qu'il tend la main;

 

Je suis arrivée au canada il y a sept ans; en fait, je n'y suis jamais arrivée; J'étais tou­jours en arrivage, les vali­ses jamais vraiment défaites, toujours en observation.

 

De nombreux liens s'étaient rompus au fil des années; cer­tains renoués ont défi­nitive­ment craqué, d'autres s'entê­tent et malgré les larmes, les vagues et les secondes par mil­liards, sont là comme si rien n'y ferait jamais.

 

J'ai laissé là bas un homme qui m'aima tant, qu'il m'offrit mon rêve, le départ; il me mit dans l'avion après dix jours d'­ivresse comme seule la tendresse qui dépasse tout amour peut en donner; Il est marié et aussi heureux que l'on peut l'être;

 

Cela n'a jamais été une question entre nous, ni un obsta­cle mais au contrai­re une joie partagée, le bonheur du bon­heur de l'autre, la joie de l'être libre qui tend la main;

Comme tous ceux qui essaient de ne pas s'engluer dans la médiocri­té, nous avons eu nos blessu­res et quelquefois, soit lui soit moi, avons donné de sérieux coups de rein, de gros coups de cœur pour sauve­garder ce lien.

 

Une vague d'incompréhen­sion a failli nous noyer durant les mois précé­dant mon der­nier voyage; J'ai tenu con­tre toute logique parce qu'il fallait, parce que c'était à moi;

Ce voyage n'avait pour but réel que cela, sa ten­dresse, son amour tout simple sans pas­sion mais au com­bien fort; 

 

Et j'ai eu la surprise de ma vie, sans le savoir une porte s'était refer­mée, poussée par un quel­conque cour­rant d'air.

Je me suis retrouvée étrangère à paris; je n'y ai pas retrouvé de parfum; je suis une mau­vaise tou­ris­te; les lieux ne sont pour moi que les demeures des gens que j'aime.

Une peinture ne m'intéresse que si un autre oeil aimé brille de la con­templer; Il m'est quand même resté les quais de la seine et quelques souvenirs;

 

Je suis fidèle aux restaurants pas tant pour leur nourri­ture que pour la mémoire d'autres repas; je suis entrée dans un restaurant chinois, près de la place saint Michel, au bord de la Seine;

J'y ai retrouvé les mêmes plats qu'il y a sept ans, partagés avec un futur amant, un couple d'amis suisse, ou cet ami (par manque de meilleur mot) que j'aime voir avec une barbe alors que jamais l'ombre d'une moustache n'a orné sa lèvre.

 

Ma famille, avec laquelle je n'ai jamais eu des liens trop serrés, ne m'a pas donné l'ombre d'une illu­sion; courtoisie et politesse; le beau temps, la poli­tesse, la neige du canada, la politique française ont meu­blé ces fê­tes;

 

J'étais en attente de ces trois jours à passer avec lui; en attente de son étreinte de ten­dresse; en at­tente de ce merveilleux coup de cœur qui laverait, j'en étais sûre, tous ces mois de choses mal dites ou non dites et amères. 

 

                                                           *****

D'abord deux semaines passées avec l'homme qui par­tage ma vie, à jouer les touristes, à lui faire décou­vrir les quel­ques recoins que les étrangers ignorent puis la visite à la famille; un peu fades, un peu ratés ces ré­veillons;

Puis le compagnon dans l'avion, trois jours à déambuler sans but si ce n'est de passer le temps; mais, je vous l'ai dit, les par­fums de paris ne me plaisent pas lors­que je les res­pire seule;

 

Le premier soir un peu tendu; mais le lende­main fait de café au litre, de larmes, de paroles sans fin pour abou­tir à la paix;

Sa femme retrouvée, avec un peu d'appréhension d'a­bord, puis tranquille;

Sa fille laissée hier presque petite-fille, et déjà à son premier amour, bientôt à ses premières blessures; le fils perdu dans son enfance dont il ne peut se dépêtrer, assis entre son désir d'ai­mer et sa révolte;

Il faut bien faire son métier de fils, et la li­berté lorsqu'on vous la donne paraît parfois un cadeau empoisonné;

 

Une famille dans laquelle j'entre et sort à ma guise de­puis bientôt quinze ans; des êtres que je n'ai pas tou­jours su aimer; nous nous sommes blessés, heur­tés au point parfois de croire que le fil avait coulé au milieu de l'océan;

Mais je suis là et ils sont là aussi, sans excu­ses, sans fausse pudeur, l'essentiel est sauf, cet amour que nous nous portons, lui pour moi, moi pour lui, pour eux quatre, eux pour moi; Lui je l'aime deux fois, comme lui d'abord et comme partie de ce quatuor;

Mes vacances en France, c'était ça; Des litres de café, une table dans un restaurant de Giverny, deux balades en forêt; et toute la tendresse. 

                                                           ****

Toute à ma joie, à cette dynamite dont il m'a bour­rée, je n'ai rien vu;

 

Je suis partie heureuse; je sais c'est stu­pide mais je suis heureuse de quitter;

C'est aussi une question de survie, cette intensité me brûle et il me faut décanter pour la savourer;

Cette tendresse soudain partagée après tant d'années d'ab­sence me brûle et il me faut le calme, l'inélucta­ble du départ pour goûter une deuxième fois, de manière différente ces secondes dont pas une n'a été perdue;

 

Je vais les revivre, les oublier, les réin­ven­ter, inlassable jusqu'au prochain port.

 

Partie dans un état second, épuisée de fatigue dans mon cocon volant, je savou­rais déjà les instants ou je re­trouverais le compagnon pour partager avec lui ces joyaux de tendresse.

 

Le partage n'a pas duré long­temps, l'homme est parti pour son travail, et je n'ai pas atterri de cette or­bite sur laquelle j'ai été expédiée en trois jours;

 

Mon vol continue inlassable; je suis incapable de tra­vailler, de respirer, de fixer ma tête sur quoi que ce soit;

Je suis ailleurs dans un monde entre deux mondes; l'un dont la porte est fermée bien qu'il y reste une lumière, l'autre où à cause de l'absence de l'être aimé, je ne peux pénétrer;

Je suis un être entre deux êtres, je suis là où le corps n'a plus de poids, je suis là où l'on ne se nomme plus car cela n'a plus d'impor­tance; Je suis sans retour.