L'homme marchait seul, cherchant l'homme qu'il était avant le commencement du monde.

Charlotte O'Streack



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EXTRAIT

 

Inter 1

 

 

 

 

Il resta là son sac à la main jusqu'à ce que la voiture  tourne le mur sans coin de l'aérogare de Roissy. Il vit la  portière, qu'il n'avait pas eu le temps de refermer, claquer  lorsqu'elle avait donné un coup de frein avant de prendre le  virage sur les chapeaux de roues. 

Il resta là jusqu'à ce qu'il sente qu'il n'y avait plus rien  à voir. 

Il resta là jusqu'à ce qu'il sente une petite énergie, pâle  reflet de ce qu'il avait connu dans le temps, mais, même incertaines, de petites étincelles font des merveilles lorsqu'elles se présentent au bon  moment, se réveiller en lui.  Il resta là jusqu'à ce qu'il sente le froid mordant se  moquer de son manteau et le transpercer jusqu'aux os.

Il se dirigea vers les portes électriques qui s'ouvrirent  dans un  chuintement. L'aérogare semblait déserte. Les  comptoirs des compagnies aériennes perdaient de leur  prestige à ne pas être occupés par ces beautés kodak qui avaient le pouvoir de dispenser ces billets pour un autre  monde. 

Il commença de tourner en suivant les comptoirs blancs qui  se succédaient les uns aux autres. Il eut bientôt fait le  tour de l'aérogare, sans avoir rencontré âme qui vive.  Au  lieu de s'en inquiéter, il entreprit de monter à l'étage des  départs où un policier ou un douanier pourrait certainement  le renseigner. Il prit le trottoir roulant qui ne  fonctionnait pas. Il peina un peu dans la pente qui lui  permit d'atteindre le satellite no1.

Aucun képi à l'horizon;  il commença à tourner,  passant devant les vitrines des  boutiques hors taxe; il remarqua que tous les écrans annonçant les départs et les arrivées étaient éteints. 

Il redescendit au rez-de-chaussée et se dirigea directement  vers le sous-sol, sans remarquer que sa présence en ces lieux,  était on ne peu plus bizarre un vingt cinq décembre, et que  le fait qu'il y soit seul aurait dû l'inquiéter ou au moins  laisser  filtrer en lui ces petites bouffées d'angoisse que  le commun des mortels éprouve à se trouver dans un lieu  immense et désert.  Mais peut-être à cause de son esprit curieux de savant il ne  s'étonnait de rien, et que Roissy soit vide ne faisait  qu'exciter sa curiosité.  Alors qu'il posait le pied sur la dernière marche un son le  frappa, de la musique. Il se dirigea vers la source du bruit et bientôt découvrit un restaurant entièrement vide à la  lumière crue.

Il faillit demander s'il y avait quelqu'un  mais se retint avec le vague sentiment qu'il n'aimerait pas  entendre résonner sa voix dans ce vaste espace vide. Il tira une chaise, s'assit à une table et se laissa glisser dans  une certaine rêverie favorisée par le côté irréel de sa  situation. 

- Bonjour, qu'est ce que je vous sers? 

‑ Bonjour, un café. 

L'apparition soudaine de la femme ne le surprit qu'après  qu'il eut passé sa commande et qu'elle soit déjà repartie  vers son comptoir. Il mit à profit son absence pour  reprendre contenance et se convainquit sans difficulté  qu'après tout le reste, cela était somme toute normal. 

Vous permettez que je m'asseye avec vous pour prendre mon  café? 

‑  Bien sûr, combien vous dois je? 

-  Cadeau, c'est Noël après tout et il semble que nous soyons  les seuls à l'avoir oublié.  

La musique s'interrompit pour un flash d'actualité. Après  les souhaits de joyeux Noël du journaliste, ce dernier  s'étendit sur la très subite et imprévisible vague de froid  qui s'abattait depuis quelques heures sur la capitale  Française et ses environs, coupant littéralement la ville du  reste du monde. Tous les transports étaient bloqués. De nombreuses  lignes électriques et téléphoniques aériennes de la banlieue, avaient cassé ne pouvant supporter le poids de la glace dont elles étaient recouvertes. Les antennes relais des opérateurs de téléphonie cellulaire, étaient enchâssées dans des gangues de glaces de plusieurs centimètres d’épaisseur, rendant l’objet le plus utilisé par la planète, complètement inutile.

On  recommandait à ceux qui devaient travailler ce jour là de  vérifier auparavant s’il était bien nécessaire qu'ils se  rendent à leur travail. Tout le personnel des aérogares  pouvait prendre congé car aucun avion ne décollerait ou  n'atterrirait ce jour là à Paris.  

-        Qu'est ce que vous faites ici puisque l'aérogare est  fermée?

-        Personne ne m'a prévenu et ma radio à la maison ne  fonctionne pas. 

-        Mais vous pouvez repartir. 

-        Non, ma voiture ne démarre plus. 

-        Pas de chance. 

-        De toute façon, je devais travailler et je n'aime pas les  changements de dernière minute. 

-        C'est comme moi je n'ai pas vérifié avant de partir, je  n'aurais jamais imaginé que ce genre de chose put arriver. 

-        Bon ce n'est pas tout mais j'ai du travail, dit la serveuse en se levant.

Avant qu'il ne puisse répondre ou la retenir en lui  expliquant l'inutilité de son travail aujourd'hui, elle  était déjà à l'autre bout du restaurant.  

Son attention fut attirée par une parole du journaliste qui  continuait à égrener ses nouvelles à la radio.  "Un mystérieux vol, vieux de trois ans, a été élucidé ce matin  lorsqu'une infirmière de l'hôtel Dieu est entrée dans la  chambre d'une malade. L'un des murs de la chambre avait été  peint en noir et en son centre se trouvait accrochée une  toile de Cézanne qui avait disparu d'un musée il y a trois  ans et que l'on croyait perdue à jamais, enfouie dans un  coffre de banque par l'un de ces collectionneurs maniaques.  La police enquête."

* * *

Le bulletin d'information ayant fait place à de la musique  il se leva et flâna autour du restaurant regardant les  boutiques aux vitrines cadenassées. Alors qu'il passait  devant un magasin de journaux il réalisa que la porte  n'était pas complètement fermée, sans doute une négligence  due au départ précipité des employés pour leur réveillon de  la veille. Il poussa la porte vitrée et pénétra dans la  boutique. Il se dirigea vers les rayons lourds de livres et  de magazines. Il décida d'emprunter plusieurs ouvrages et  magazines et de les remettre avant l'arrivée des employés,  de toute façon à son départ qui ne saurait tarder  lorsqu'elle réaliserait qu'il était bloqué seul ici sans  moyen d'aller nulle part.

Il prit "L'exposition coloniale"  en poche, "Un certain goût pour la mort" également en poche  et quelques magazines d'actualité qu'il n'avait jamais le  temps de lire.

En se dirigeant vers la sortie du magasin il  avisa un poste de radio portatif en arrière du comptoir, il  l'emprunta également, se disant qu'il risquait de ne pas  aimer le même genre de musique que la serveuse.  

Il regagna sa table et se plongea dans les premières pages  du livre d'Erik Orsenna.  

Il lut un long moment appréciant le style de l'écrivain, et  se laissant transporter dans ce monde du caoutchouc où tout  semblait rebondir, les personnages et les événements dans une  sarabande faisant de l'imaginaire un quotidien que l'on  s'étonnait de ne pas vivre soi-même.  

Fermant le livre à la fin d'un chapitre, il se leva et  s'étira avant de se diriger vers l'escalier; une vague  envie de se dégourdir les jambes en même temps qu'un léger sentiment d'abandon face à sa situation le poussèrent vers  l'étage supérieur. Il en fit à nouveau le tour et eut la  nette impression d'être épié en passant près d'un pilier. Il  essaya de se raisonner et pour se moquer un peu de lui-même  il dit d'une voix à la Bogart:

-        Qui que vous soyez, sortez de derrière ce pilier les mains  sur la tête. 

En même temps il brandit sa pipe dans son poing en la tenant  par le fourneau dans une dérisoire imitation d'un pistolet.  Il resta bouche bée lorsque de derrière le pilier sortit un  barbu les deux mains sur la tête avec un petit sourire  ironique aux lèvres.