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EXTRAIT
Inter 1
Il resta là son sac à la main jusqu'à ce que la voiture tourne le mur sans coin de l'aérogare de Roissy. Il vit la portière, qu'il n'avait pas eu le temps de refermer, claquer lorsqu'elle avait donné un coup de frein avant de prendre le virage sur les chapeaux de roues.
Il resta là jusqu'à ce qu'il sente qu'il n'y avait plus rien à voir.
Il resta là jusqu'à ce qu'il sente une petite énergie, pâle reflet de ce qu'il avait connu dans le temps, mais, même incertaines, de petites étincelles font des merveilles lorsqu'elles se présentent au bon moment, se réveiller en lui. Il resta là jusqu'à ce qu'il sente le froid mordant se moquer de son manteau et le transpercer jusqu'aux os.
Il se dirigea vers les portes électriques qui s'ouvrirent dans un chuintement. L'aérogare semblait déserte. Les comptoirs des compagnies aériennes perdaient de leur prestige à ne pas être occupés par ces beautés kodak qui avaient le pouvoir de dispenser ces billets pour un autre monde.
Il commença de tourner en suivant les comptoirs blancs qui se succédaient les uns aux autres. Il eut bientôt fait le tour de l'aérogare, sans avoir rencontré âme qui vive. Au lieu de s'en inquiéter, il entreprit de monter à l'étage des départs où un policier ou un douanier pourrait certainement le renseigner. Il prit le trottoir roulant qui ne fonctionnait pas. Il peina un peu dans la pente qui lui permit d'atteindre le satellite no1.
Aucun képi à l'horizon; il commença à tourner, passant devant les vitrines des boutiques hors taxe; il remarqua que tous les écrans annonçant les départs et les arrivées étaient éteints.
Il redescendit au rez-de-chaussée et se dirigea directement vers le sous-sol, sans remarquer que sa présence en ces lieux, était on ne peu plus bizarre un vingt cinq décembre, et que le fait qu'il y soit seul aurait dû l'inquiéter ou au moins laisser filtrer en lui ces petites bouffées d'angoisse que le commun des mortels éprouve à se trouver dans un lieu immense et désert. Mais peut-être à cause de son esprit curieux de savant il ne s'étonnait de rien, et que Roissy soit vide ne faisait qu'exciter sa curiosité. Alors qu'il posait le pied sur la dernière marche un son le frappa, de la musique. Il se dirigea vers la source du bruit et bientôt découvrit un restaurant entièrement vide à la lumière crue.
Il faillit demander s'il y avait quelqu'un mais se retint avec le vague sentiment qu'il n'aimerait pas entendre résonner sa voix dans ce vaste espace vide. Il tira une chaise, s'assit à une table et se laissa glisser dans une certaine rêverie favorisée par le côté irréel de sa situation.
- Bonjour, qu'est ce que je vous sers?
‑ Bonjour, un café.
L'apparition soudaine de la femme ne le surprit qu'après qu'il eut passé sa commande et qu'elle soit déjà repartie vers son comptoir. Il mit à profit son absence pour reprendre contenance et se convainquit sans difficulté qu'après tout le reste, cela était somme toute normal.
Vous permettez que je m'asseye avec vous pour prendre mon café?
‑ Bien sûr, combien vous dois je?
- Cadeau, c'est Noël après tout et il semble que nous soyons les seuls à l'avoir oublié.
La musique s'interrompit pour un flash d'actualité. Après les souhaits de joyeux Noël du journaliste, ce dernier s'étendit sur la très subite et imprévisible vague de froid qui s'abattait depuis quelques heures sur la capitale Française et ses environs, coupant littéralement la ville du reste du monde. Tous les transports étaient bloqués. De nombreuses lignes électriques et téléphoniques aériennes de la banlieue, avaient cassé ne pouvant supporter le poids de la glace dont elles étaient recouvertes. Les antennes relais des opérateurs de téléphonie cellulaire, étaient enchâssées dans des gangues de glaces de plusieurs centimètres d’épaisseur, rendant l’objet le plus utilisé par la planète, complètement inutile.
On recommandait à ceux qui devaient travailler ce jour là de vérifier auparavant s’il était bien nécessaire qu'ils se rendent à leur travail. Tout le personnel des aérogares pouvait prendre congé car aucun avion ne décollerait ou n'atterrirait ce jour là à Paris.
- Qu'est ce que vous faites ici puisque l'aérogare est fermée?
- Personne ne m'a prévenu et ma radio à la maison ne fonctionne pas.
- Mais vous pouvez repartir.
- Non, ma voiture ne démarre plus.
- Pas de chance.
- De toute façon, je devais travailler et je n'aime pas les changements de dernière minute.
- C'est comme moi je n'ai pas vérifié avant de partir, je n'aurais jamais imaginé que ce genre de chose put arriver.
- Bon ce n'est pas tout mais j'ai du travail, dit la serveuse en se levant.
Avant qu'il ne puisse répondre ou la retenir en lui expliquant l'inutilité de son travail aujourd'hui, elle était déjà à l'autre bout du restaurant.
Son attention fut attirée par une parole du journaliste qui continuait à égrener ses nouvelles à la radio. "Un mystérieux vol, vieux de trois ans, a été élucidé ce matin lorsqu'une infirmière de l'hôtel Dieu est entrée dans la chambre d'une malade. L'un des murs de la chambre avait été peint en noir et en son centre se trouvait accrochée une toile de Cézanne qui avait disparu d'un musée il y a trois ans et que l'on croyait perdue à jamais, enfouie dans un coffre de banque par l'un de ces collectionneurs maniaques. La police enquête."
* * *
Le bulletin d'information ayant fait place à de la musique il se leva et flâna autour du restaurant regardant les boutiques aux vitrines cadenassées. Alors qu'il passait devant un magasin de journaux il réalisa que la porte n'était pas complètement fermée, sans doute une négligence due au départ précipité des employés pour leur réveillon de la veille. Il poussa la porte vitrée et pénétra dans la boutique. Il se dirigea vers les rayons lourds de livres et de magazines. Il décida d'emprunter plusieurs ouvrages et magazines et de les remettre avant l'arrivée des employés, de toute façon à son départ qui ne saurait tarder lorsqu'elle réaliserait qu'il était bloqué seul ici sans moyen d'aller nulle part.
Il prit "L'exposition coloniale" en poche, "Un certain goût pour la mort" également en poche et quelques magazines d'actualité qu'il n'avait jamais le temps de lire.
En se dirigeant vers la sortie du magasin il avisa un poste de radio portatif en arrière du comptoir, il l'emprunta également, se disant qu'il risquait de ne pas aimer le même genre de musique que la serveuse.
Il regagna sa table et se plongea dans les premières pages du livre d'Erik Orsenna.
Il lut un long moment appréciant le style de l'écrivain, et se laissant transporter dans ce monde du caoutchouc où tout semblait rebondir, les personnages et les événements dans une sarabande faisant de l'imaginaire un quotidien que l'on s'étonnait de ne pas vivre soi-même.
Fermant le livre à la fin d'un chapitre, il se leva et s'étira avant de se diriger vers l'escalier; une vague envie de se dégourdir les jambes en même temps qu'un léger sentiment d'abandon face à sa situation le poussèrent vers l'étage supérieur. Il en fit à nouveau le tour et eut la nette impression d'être épié en passant près d'un pilier. Il essaya de se raisonner et pour se moquer un peu de lui-même il dit d'une voix à la Bogart:
- Qui que vous soyez, sortez de derrière ce pilier les mains sur la tête.
En même temps il brandit sa pipe dans son poing en la tenant par le fourneau dans une dérisoire imitation d'un pistolet. Il resta bouche bée lorsque de derrière le pilier sortit un barbu les deux mains sur la tête avec un petit sourire ironique aux lèvres.