L'homme marchait seul, cherchant l'homme qu'il était avant le commencement du monde.

Charlotte O'Streack



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LIENS

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LA LETTRE

 

 

Elle est arrivée vendredi soir, je ne l'ai pas ouverte car je voulais être seule pour le faire.

Nous partions le soir même pour Ottawa et je déci­dai de ne pas l'emporter pour ne pas être tenté de l'ouvrir sans en avoir vraiment le temps.

Elle était là, tant attendue, c'était l'essentiel, je pou­vais atten­dre encore un peu d'en connaître le conte­nu. Je pouvais passer deux jours à déguster cette certi­tude, la lettre était arri­vée; elle traînait sur mon bu­reau, pas un seul instant oubliée.

Au cours de ces deux jours pleins de rires, de jeux, d'activi­tés de toutes sortes elle ne quitta pas mon esprit un seul mo­ment, prenant même parfois toute la place; je répondais aux plaisanteries, aux questions avec une partie de moi-même, le reste savourait, pensait aux gestes qui allaient me permettre d'en découvrir le contenu. Découper l'enve­loppe, en retirer les feuillets, retar­der encore la lec­ture comme on retarde la jouis­sance.

Je fais l'amour avec toi depuis trois jours, au vu et au su de tout le monde qui ne voit rien, qui ne sait rien. Ce plaisir du secret cha­leureux, ce plaisir de ta pré­sence invisible et même incon­nue pour la plupart.

Hier nous avons visité des mai­sons, te souviens-tu de toutes celles que nous avons vues ensemble ? Tu étais là à chaque marche d'esca­lier, à chaque porte poussée pour découvrir une superbe chambre à coucher; je vis par moment ta moue peu enthou­siaste de­vant une salle de bain ratée.

Je passai ensuite le reste de mon temps à lire Sacré Manège de P Djian. Tu y étais à chaque page, faisant des remarques, des commen­tai­res entre les phrases. Sur le chemin du retour je laissais mes mains et mes pieds mener la voiture à un train d'enfer. Te sou­viens-tu de notre ballade à Hon­fleur, juste deux heures comme hier.

Mon es­prit vagabon­dait, le pay­sage canadien était remplacé par la Nor­mandie qui défi­lait à toute vitesse le long de ma portiè­re. Tu étais là à côté, silencieux.

 

Aujourd'hui j'ai peint le salon, repoussant un peu plus ce moment où toutes les con­ditions seront réunies pour ouvrir cette lettre que je sa­voure depuis trois jours. Par moment je flanche en voyant tous ces coups de pinceau qui m'en séparent.

Je pense à tes commentaires sur ce blanc pas vraiment blanc que j'é­tale et qui n'en finit plus de couvrir ces murs.

Un moment de paix; je viens d'écrire ces li­gnes, elle est là devant moi; je me suis assise devant la mai­son, au soleil, mes mains tremblent un peu. Les mots sont là, pleins d'émotion et de retenue; c'est comme d'être dans tes bras après avoir fait l'a­mour; c'est la douceur des certitudes; tu me parles de ton amour pour moi, de ce que tu partages avec ta compagne, de ta fille amoureuse de son musicien, de ton fils qui me rappelle quelqu'un il n'y a pas si longtemps.

Tu me dis peu de ton existence, mais je devine les mots, les serrements de cœur, les larmes de tendresse aux coins des paupières. C'est tout toi qu'il y a entre ces lignes. Maintenant je vais flotter, ivre d'inexplicable, de mots non dits, te parler pendant des jours, t'aimer en­core et encore.