L'homme marchait seul, cherchant l'homme qu'il était avant le commencement du monde.

Charlotte O'Streack



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15-11-91

 

Bonjour,

Je n'ai jamais su commencer mes lettres. Il y a trop à dire; trop de détails et petites choses qui cha­cun ajoute sa part à cette journée.

Je suis comme un élé­phant dans un magasin de porcelaine; émer­veillée par tant de délicatesse qui ne m'appartient pas, émer­veillée par un monde de fi­nesse dont je ne fais pas partie, apeurée d'avoir à bouger et d'être ense­velie sous un amas de porcelaine, fut-elle de Limo­ges...

Tout me fait des clin d'œil, tout m'ap­pelle et je suis immobile, ne touchant à rien pour ne pas briser cet équilibre fragile qui m'entoure. Le labyrinthe qui m'a amenée là ne semble pas avoir de sortie.

Tu vois, je suis toujours au départ de cet affreux jeu de l'oie. Le pire n'est pas de perdre mais bien de ne pas mourir. Cette espèce de poison, qui doucement s'in­filtre jour après jour utilisant n'importe quel stratagème pour aller plus profond, se marie avec notre instinct de con­servation pour faire de nous des plaies vivantes que le sang se plait à faire battre inlas­sablement.

J'apprends la pru­dence, n'est ce pas la pire des cho­ses? Même sur le papier je suis prudente. Il est vrai que ma folie dévoilée créerait un insupportable chaos. On m'enfer­merait .

Cette course effrénée avec moi-même ne peut mener qu'à une fin démesurée et rapide à moins que...

Ce "A moins que" que nous poussons en avant; Ce besoin que l'on a de défier tout à partir d'un "à moins que" pas plus gros qu'un caillou. Ce besoin de foi qui nous amène à une quelconque al­liance avec la pire partie de nous-même. Tout cela est bien dérisoire mais on ne peut pourtant pas s'en débarrasser.

On tuerait volontiers pour effacer dans les yeux des autres la vision que l'on a de soi-même. Un meur­tre géant, un homicide général pour une minute de vrai transport, pour un instant de sourire, pour détruire à jamais ces yeux qui nous fixent malgré les pau­pières bais­sées.

On devrait me découper pour que je lise ce que j'ai d'inscrit au fer rouge à l'intérieur. La pire des choses est d'avoir le choix. La liberté de choisir est le cadeau le plus empoisonné que l'on puisse recevoir.

Les arbres vieillissant vont accepter de renaître une nouvelle fois, se découpant sur ce bleu immobile. Il n'y a que les nuages qui apportent de temps en temps de la fantaisie à l'horizon figé de la natu­re. Ces arbres qui dessinent des tortures sadiques à leurs bran­ches, ces arbres sont notre réponse à tout. Ils vivent inlassablement de saison en sai­son et meurent sans un cri.

Peut-on espérer qu'au dernier instant nous aussi nous n'aurons qu'un cri de joie muette qui se formera devant la révélation de tout, devant la sim­plici­té; Un cri d'admi­ration qui ne sortira pas car ce se­rait briser le plaisir des autres. Et puis nous ne parlerons plus, nous crierons du cer­veau devant ce "il fallait y pen­ser" qui deviendra la seule réponse étince­lante d'évidence.

C'est cette espèce de filon de métal pré­cieux inventé sous l'influence d'une inexplicable cro­yance que l'on ne cherche plus à expli­quer. Il doit être là parce que... parce que sans cela plus rien n'est possible. Il a été à la base et à l'aboutissement de tout raisonnement. Que nous reste­rait-il si on nous le donnait d'avance ?