L'homme marchait seul, cherchant l'homme qu'il était avant le commencement du monde.

Charlotte O'Streack



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LIENS

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PEUR

 

Mars 1991

Elle est née en même temps que moi, et c'est à cause d'­elle que je poussais mes premiers cris; et ces cons de médecins qui croient que c'est une vague ques­tion d'air qui entre dans les poumons!

Non c'est elle, et jamais elle ne me quit­ta; Dans cette course effrénée que je mène contre elle, il m'arrive de pren­dre quel­que avance, mais la garce me reprend comme en se jouant;

Elle a été de tous mes grands et mes petits mo­ments; certains l'ont utilisé pour me dresser; ils préfè­rent dire éduquer. J'ai appris sans le savoir à lui obéir au doigt et à l'œil. Elle m'a accompagnée dans une enfance où tout était clas­sé entre péchés et bonnes actions. Elle ser­vait à punir des premiers, et disparaissait un mo­ment lorsque par un heureux hasard, mes actions avaient eu la bonne idée d'être ce qu'on leur demandait.

Son rire grinçant est aujourd'hui de tous mes instants, et si elle me laisse quelque répit, ce n'est que pour mieux se délec­ter de ma prochaine chute, de ma prochaine défaite.

Elle a fait de l'inconnu son allié, et du temps son arme in­faillible. On craint le premier et l'on redoute le second. Et de la con­naître ne me facilite pas la tâche, car la salope a eu tout le temps de m'impré­gner dans un viol permanent de plus de trente ans.

Elle est dans mes fibres, elle est dans mes os, elle est dans mon sexe et mon cerveau. Elle a tout investi, et se dé­lecte quand sous son action l'adréna­line enjoint au cœur de pomper, le pauvre vieux au risque de le faire cra­quer.

Elle est maître dans l'art de se dissimuler; elle prend les traits d'inconnus, d'un homme, d'une femme, de Dieu; comble de la duplicité, elle prend par­fois mes pro­pres traits, et je peux alors la voir au fond de mes yeux; elle en bouffe les étincelles, elle les décore de cernes pro­fonds, elle les noie de détresse.

Elle se fait parfois si petite que je la crois dispa­rue à jamais, mais c'est mal la connaître, et elle jubile déjà de la surprise qui me coupera les jambes lors­qu'elle réapparaîtra.

Ne pas la quitter des yeux, reste ma seule chance, mais c'est admet­tre son emprise jusque dans mes amours sous lesquels elle ouvre au moment su­prême un abîme sans fond, sur les parois duquel je lais­se mes griffes et mes lar­mes. Lorsque je pense aux amours qu'elle m'a fait rater, j'enrage, et je suis prête à la pourfendre, mais elle ricane sachant qu'elle m'a sucé toute la moelle épinière, et que mon squelette s'en va déjà pourrissant.

Comme par ha­sard, elle se décline au féminin, faussant dès le départ toute relation, puisqu'on l'associe à la meilleure partie de nous-même.

Elle a pris le meilleur de moi-même, me don­nant l'il­lu­sion qu'ainsi je parvenais à accomplir des choses remar­qua­bles.

Elle est sans foi ni loi, elle cap­ture l'inconnu et le pare d'inquiétantes couleurs, pour que je trébuche à peine je fais un pas hors du chemin qu'elle m'a tracé.

Si je ne trébuche pas assez à son goût, elle place sur ma route un amour, dont la perte me devient insupportable.

Elle mène ma vie, me laissant croire par instant à une liberté enfin trouvée.

Ses prises s'appellent, demain, amour, et la meil­leure est sans aucun doute la mort.

Elle l'a tellement déni­grée, nous en cachant la vraie nature, que nous craignons cet instant plus que tout.

Elle est omniprésente dans tous les yeux, si bien que toute rencontre devient un incroyable exercice d'appri­voi­sement.

Elle mène le jeu, et pauvres humains que nous sommes, nous croyons élever des remparts imprenables, et construire des armes redoutables alors que l'en­nemi, le seul vrai, a vampirisé nos neurones.

J'aimerais que ces mots soient une déclaration de guer­re, dont l'enjeu est ma vie, ma liberté, mais la garce veille et je n'entends que des bredouillements dont elle se moque. 

Dieu, qui que vous soyez, "délivrez-moi de la peur"!